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Au « fonds » des choses : plongée au cœur des archives – III

« Les archives, qu’ossa donne? »

Vieilles photographies, cartes postales anciennes, lettres manuscrites… Dans cette série de trois articles, Sandrine Contant-Joannin, ethnologue et chargée de projets, lève le voile sur une collection et un fonds d’archives traités par Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache. Détrompez-vous, les archives ne sont pas que de vieilles boîtes poussiéreuses! C’est plutôt un matériau bien vivant et bien parlant pour qui sait le lire…

Image en vignette : Fêtes du Vieux-Saint-Eustache, 1981. (Ville de Saint-Eustache. Service des archives. Fonds Sylvain H. Boileau.)

Le rôle de toute personne qui traite un fonds d’archives est, d’abord et avant tout, de s’assurer de mettre en place des mesures adéquates de conservation et de documenter le fonds, comme nous l’avons vu dans les deux premiers articles de cette série. Ces actions permettent de rendre les archives accessibles facilement et ce, le plus longtemps possible. C’est le travail que j’effectue pour le fonds Sylvain H. Boileau.

J’entends ici certaines personnes dire : « C’est bien beau tout ça, mais qu’ossa donne? » Ou encore : « Ça prend de la place, toutes ces boîtes! Est-ce que ça apporte réellement de la joie à quelqu’un? » À l’ère de Marie Kondō, ces questions sont tout à fait légitimes.

Grève des employés de Schock Béton, 1983. (Ville de Saint-Eustache. Service des archives. Fonds Sylvain H. Boileau.)

Quand on pense à l’usage des archives, on l’associe généralement à la recherche en sciences humaines ou en sciences sociales. Il est vrai qu’une fois que j’aurai terminé de traiter le fonds Sylvain H. Boileau, il sera disponible pour les chercheuses et chercheurs à qui il prendrait l’envie de travailler sur l’histoire de Saint-Eustache ou d’intégrer l’histoire locale à leur projet. Que ce soit pour illustrer un évènement particulier ou pour brosser le portrait d’une époque donnée, le fonds contient des images parlantes de l’actualité locale. À titre d’exemple, une personne qui effectuerait une recherche sur le syndicalisme au Québec dans les années 1980 pourrait trouver son compte en consultant le fonds. En effet, on y retrouve des photographies d’une grève des employés de Schock Béton déclenchée le 29 mars 1983 à Saint-Eustache. Cette grève de 43 employés avait secoué la communauté, notamment en raison d’altercations entre la police et les grévistes. Les photos de Sylvain H. Boileau pourraient donc être utilisées pour parler de la mobilisation syndicale dans un contexte particulier, pour montrer quels types de slogan étaient utilisés, etc.

Grève des employés de Schock Béton, 1983. (Ville de Saint-Eustache. Service des archives. Fonds Sylvain H. Boileau.)

Il faut ici souligner que les projets de recherche en sciences humaines et sociales ne sont pas nécessairement des thèses ou des articles rédigés par des spécialistes et lus par une poignée d’initiés (on les salue, d’ailleurs 😉). Au delà de la valeur intellectuelle et scientifique qu’on accorde souvent à un fonds d’archive, celui-ci peut aussi aussi avoir une grande valeur émotive.

Qu'elles nous rendent tristes ou nous fassent rire, qu'elles nous émerveillent ou nous rendent nostalgiques, qu'elles nous bouleversent ou nous illuminent, les archives sont en mesure de nous émouvoir parce qu'elles ont la capacité d'évoquer, c'est-à-dire de rappeler les choses oubliées, de les rendre présentes à l'esprit.

Les archives permettent de se lier activement au passé d’une famille, d’une personne, d’un groupe, d’une institution ou d’un lieu. Elles n’apportent pas toujours de la joie, c’est vrai, mais elles ont le potentiel de nous faire vivre de grandes émotions! C’est ce qui rend la conservation et la mise en valeur d’un fonds d’archives comme le fonds Sylvain H. Boileau si intéressante.

Ouverture de la bibliothèque de Saint-Eustache, 1978. (Ville de Saint-Eustache. Service des archives. Fonds Sylvain H. Boileau.)

Chez Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache, tout comme à la Ville de Saint-Eustache, des projets de diffusion et de médiation pour le grand public sont régulièrement mis sur pied. C’est précisément ce genre de projets qui permettent d’explorer la dimension émotive de fonds d’archives. En ce moment, une équipe travaille à la rédaction d’un livre à propos de l’histoire de Saint-Eustache. Des images du fonds Sylvain H. Boileau, telle que la photo ci-dessus, permettront d’illustrer différents lieux et évènements. Cela contribuera certainement à ramener à la mémoire des lectrices et lecteurs certains souvenirs. Peut-être seront-ils même tentés de sortir leurs vieux albums photos et de discuter avec famille et amis…

Les images d’archives peuvent contribuer à un projet, mais elles peuvent aussi en être le point de départ. Le fonds Sylvain H. Boileau a inspiré un projet d’exposition dont la création débutera au cours des prochains mois. En classant les milliers de photographies et de négatifs que contient le fonds, je me suis aperçue que durant plusieurs années, Sylvain H. Boileau avait pris de nombreux clichés des Fêtes du Vieux-Saint-Eustache. J’avais déjà entendu parler de cet évènement, mais le fait d’en voir des images m’a permis d’en prendre toute la mesure.

Fondées par Paul Tardif et Gilbert Gardner en 1973, les Fêtes du Vieux-Saint-Eustache étaient un grand évènement populaire qui animait le Vieux-Saint-Eustache durant une semaine lors de la saison estivale. Selon les journaux de l’époque, la programmation ne contenait pas moins de 300 à 400 heures d’activités pour tous les goûts! Parmi celles-ci se trouvaient des spectacles d’artistes tels que M. Pointu et Gilles Vigneault, un berce-o-thon, une course de boîtes à savon, la fabrication et la dégustation de « gargotte », une soupe faite à partir de barbotte locale, des démonstrations d’artisans et j’en passe.

Course de boîtes à savon aux Fêtes du Vieux-Saint-Eustache, 12 août 1978. (Ville de Saint-Eustache. Service des archives. Fonds Sylvain H. Boileau.)

L’objectif des Fêtes du Vieux-Saint-Eustache était de revitaliser le quartier et de permettre à tous les résidentes et résidents de Saint-Eustache, particulièrement aux nouveaux venus puisque la municipalité se développait très rapidement à l’époque, d’apprendre à connaître l’histoire de leur milieu de vie. L’évènement était très populaire et l’ambiance y était incomparable, du moins, c’est ce qu’on a raconté. Je serais même tentée de dire que les Fêtes étaient légendaires! Dans ce cas-ci, les images d’archives vont nous permettre de créer un projet qui mettra en valeur le vécu de citoyennes et de citoyens de Saint-Eustache, tout en faisant découvrir à d’autres un pan de l’histoire eustachoise.

La « gargotte » des Fêtes du Vieux-Saint-Eustache, 10 août 1978. (Ville de Saint-Eustache. Service des archives. Fonds Sylvain H. Boileau.)

En plus des projets de recherche et de médiation culturelle, les archives nourrissent la création de projets artistiques. Certains cinéastes et artistes visuels, pour ne nommer que ceux-là, utilisent des documents anciens dans leur processus créatif. C’est le cas par exemple du film La part du diable, du réalisateur québécois Luc Bourdon. Entièrement fait à partir d’images d’archives, le film brosse un portrait original des années 1970.

De notre côté, le fonds Sylvain H. Boileau nous a donné la chance de stimuler la créativité de jeunes de partout au Québec en prenant part à J’aime les mots, une initiative présentée par Culture pour tous dans le cadre des Journées de la culture. Les jeunes ont été invités à créer des mèmes (un mème, c’est un contenu, dans ce cas-ci une image, reprise et détournée, généralement de manière humoristique) à l’aide d’images fournies par plusieurs institutions du Québec et du Canada. Quelques photos loufoques du fonds Sylvain H. Boileau semblent avoir bien inspiré les jeunes!

Sans être devenue une experte des archives, je peux dire que que plus je travaille avec celles-ci et plus je constate la diversité des usages qu’on peut en faire. Pas besoin d’être un expert pour en profiter! Je suis curieuse de voir les projets dans le cadre desquels le fonds Sylvain H. Boileau sera utilisé au cours des prochaines années. Les archives ne sont pas de vieilles boîtes poussiéreuses, mais bien de belles boîtes remplies de possibilités.

À (re)lire : le premier et le deuxième article de la série Au « fonds » des choses : plongée au cœur des archives.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Binsse, Lissa. (1983, 23 avril). Le monde du travail. La Presse, D28. Collections de BAnQ. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2289395?docsearchtext=gr%C3%A8ve%20syndicat%20m%C3%A9tallos%20saint-eustache

Le Vieux Saint-Eustache en Fête jusqu’au 14 août. (1976, 11 août). La revue de Terrebonne, 13. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2693215?docpos=13

Les Fêtes du Vieux-Saint-Eustache. (1977, 27 juillet). L’artisan : hebdomadaire d’informations régionales de Repentigny et du comté de l’Assomption, 19. Collections de BAnQ. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2454648?docpos=19

Les retailles. (1983, 30 mars). Le Quotidien, p.6. Collections de BAnQ. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4221720?docsearchtext=gr%C3%A8ve%20syndicat%20m%C3%A9tallos%20saint-eustache

Lemay, Y. & Klein, A. (2012). La diffusion des archives ou les 12 travaux des archivistes à l’ère du numérique. Les Cahiers du numérique, 8, 15-48. https://doi.org/10.3166/LCN.8.3.15-48

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