Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard.
Deux femmes partageront la vie du célèbre notaire patriote Jean-Joseph Girouard : d’abord « sa bonne Louise », puis « sa chère Émélie ». Il épouse à Saint-Benoît en premières noces Marie-Louise Lamédèque dite Félix (1780-1847) le 24 novembre 1818. De 15 ans son aînée, elle rend l’âme des suites d’une hémorragie cérébrale le 2 avril 1847, à l’âge de 66 ans.
La seconde épouse de Girouard est Marie-Émélie Berthelot (1816-1896). Elle naît à Saint-Eustache le 1er août 1816, elle-même issue du non moins célèbre Joseph-Amable Berthelot, notaire patriote de l’endroit, et de Marie-Michelle Hervieux. Elle est par ailleurs la sœur cadette de l’avocat Joseph-Amable Berthelot (1815-1897). Il faut savoir que dès cette époque, les familles Berthelot et Girouard étaient déjà très proches.
À peine âgée de 6 ans, Émélie Berthelot fait son entrée à l’académie des filles tenue par le Dr Jacques Labrie, à Saint-Eustache. Cette institution rayonnait déjà partout dans la province pour la qualité de sa formation des futures institutrices. Émélie y étudie jusqu’en juillet 1827, notamment aux côté de Zéphirine Labrie, fille du même docteur, qui devient en 1831 l’épouse du Dr Jean-Olivier Chénier.
À l’été 1837, en pleine ébullition politique, on la soupçonne d’être « membre » de l’Association des Dames patriotiques du comté des Deux-Montagnes, aux côtés des dames Masson, Dumouchel, Girouard et Labrie. Puis vers la fin de l’automne de la même année, elle observe son père fondre des balles dans la maison familiale afin de supporter le camp armé établi au village de Saint-Eustache. Malgré son jeune âge, elle demeure un rare témoin des jours précédents l’affrontement décisif. De sa plume aiguisée, elle décrira plus tard dans ses Notes (de 1872 à 1875) comment elle a vécu ces événements marquants.
Devenu veuf en 1847, et à la suite du départ pour Montréal de son neveu Alfred Dumouchel jusqu’alors en pension, Girouard trouve alors sa maison beaucoup trop grande pour lui seul. Le jour de l’An 1851, il participe à une veillée dans la famille des Berthelot, chez son vieil ami, à Saint-Eustache. Empreint de chagrin, il en profite pour avouer ses sentiments pour Émélie à sa mère. Depuis des années, il lui voue non seulement un respect et une admiration sans borne, mais depuis 1847 un amour inavoué grandissant. Plus tard au début du même printemps, il prit le parti de lui exposer ses « plans ». Dans une lettre bien sentie empreinte d’émotions, il ne lui demande pourtant pas de venir fonder une famille avec lui, mais plutôt de le rejoindre afin de jeter les bases d’« un établissement religieux destiné à l’éducation des jeunes filles et au logement des orphelins et des vieillards », au dire de Béatrice Chassé, auteure d’une vaste thèse sur la vie du notaire Girouard. De par sa bienveillance, sa générosité et sa charité reconnue, elle était la personne toute désignée pour unir sa destiné au notaire respecté.
Ses deux individus partageaient instinctivement les mêmes intérêts, le même dévouement à l’égard du bien-être des gens. Dans cette même lettre datée du 31 mars 1851, il lui dit : « Il n’y a que toi au monde avec qui je puisse m’entendre pour mettre ce projet à exécution. Je veux que tu sois la fondatrice et la directrice en la manière que tu l’entendras. Et Dieu aidant, j’espère que nous réussirons. Car ce ne sont point ici de vains projets et j’ai la plus grande confiance dans la réalisation des résolutions qu’il a lui-même inspirées. Consens donc ma bonne amie, à travailler avec moi au soulagement spirituel et temporal de nos semblables. » Après réflexion, elle ne pouvait refuser une telle demande et s’empressa d’accepter. Aussitôt, la famille Berthelot organisa la cérémonie prévue pour 30 avril 1851.
Le futur époux arriva donc la veille chez son ami Joseph-Amable Berthelot père en compagnie de ses proches, dont Augustin-Norbert Morin qui allait agir à titre de témoin. Son jeune assistant, le notaire Félix-Hyacinthe Lemaire, est présent pour rédiger le contrat de mariage. La cérémonie est prévue à l’église de Saint-Eustache le matin même, à 4h du matin ! Pourquoi si tôt ? Le couple voulait simplement éviter un potentiel charivari de la part d’habitants peut-être trop zélés en raison de la différence d’âge qui les séparait. Pour cause, Girouard est âgé de 56 ans alors que sa nouvelle conjointe est âgée de 34 ans.
Neuf mois jour pour jour exactement après avoir unit leur destinée, le nouveau couple voit la naissance (le 30 janvier 1852) de jumelles prénommées Félicité et Perpétue. La première rend toutefois l’âme aussitôt après avoir été ondoyée. Le couple aura ensuite un premier fils, prénommé Joseph, né le 8 avril 1854. Puis, naîtra Jean le 7 mars 1856, né cinq mois et demi après la mort de son père. Émélie Berthelot vivra donc un peu moins de 5 ans auprès de son mari. Elle élève ensuite seule ses trois enfants.
Devenue veuve à 39 ans, elle s’établit chez sa fille Perpétue à Ottawa en 1879. De retour à Saint-Benoît, elle réside ensuite à l’hospice d’Youville (1888-1892). Elle se retire à Montréal chez les Sœurs de la Providence où elle décède à l’hospice Gamelin à Montréal, le 15 décembre 1896. Elle est inhumée avec son mari à Saint-Benoît.
Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard et pour voir d’autres documents d’archives sur Émélie Berthelot, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.
Qui a écrit cet article?
Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001).
Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018).
Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013.
Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.