Même si c’est à Saint-Timothée, près de Salaberry-de-Valleyfield, qu’il voit le jour en 1835, David Marsil devient dès sa jeunesse l’un des personnages les plus importants et les plus intéressants de l’histoire de Saint-Eustache. Aujourd’hui peu connu du public, il est admiré par plusieurs de ses contemporains pour sa carrière exceptionnelle de médecin chirurgien, son implication politique et son combat personnel pour la commémoration des patriotes de 1837-1838.
David Marsil avait pour les faits et les hommes de 1837-1838 quelque chose comme une sainte religion.
L'Avenir du Nord, 27 janvier 1899.
Plusieurs décennies plus tard, le chirurgien, politicien et passionné d’histoire David Marsil est profondément déçu du peu de gratitude dont témoigne la société canadienne-française envers celui qu’il considère comme un héros. En effet, l’admiration qu’éprouve David Marsil à l’endroit de Chénier n’est un secret pour personne. Voici ce que son bon ami, le journaliste Laurent-Olivier David, écrit à ce sujet : « Mais malheur à vous, si vous osez, sur un pareil sujet [Chénier et les patriotes], exprimer des doutes et même manquer d’enthousiasme. [Il] vous accablera d’imprécations, et, en vain, vous essaieriez d’arrêter le torrent qui vous inonde ». (Le Soleil, 28 janvier 1899, p. 3.) Selon Marsil et ses plus proches collaborateurs, le chef rebelle eustachois a donné sa vie pour conquérir les droits et libertés du peuple canadien-français, ce qui en fait un véritable martyr.
Pour donner à Jean-Olivier Chénier la place qu’il estime lui revenir dans l’histoire et la mémoire de la nation, Marsil conçoit en 1855 le projet d’un monument érigé en son honneur à Saint-Eustache. Or, une partie des Eustachois et des Eustachoises ne partage pas cette admiration pour les patriotes et s’oppose fermement à cette idée. Pire, le très influent seigneur Charles-Auguste-Maximilien Globensky, dont le père Maximilien a lui-même combattu Chénier et ses hommes, multiplie les démarches pour empêcher le projet de Marsil de se concrétiser. Plutôt qu’un monument au chef patriote, Globensky s’arrange avec le curé Louis-Ignace Guyon pour inaugurer une plaque en l’honneur du curé Jacques Paquin, qui était le plus grand adversaire de Chénier à Saint-Eustache!
David Marsil n’est pas du genre à se décourager. Six ans après cet échec, il voit plus grand : son nouveau projet consiste à déterrer les restes de son héros pour les enterrer sous le monument dédié aux patriotes au cimetière Notre-Dame-des-Neiges lors d’une cérémonie grandiose. Il se procure une urne fabriquée en France pour transporter les restes et annonce son intention dans les journaux. Le 21 juin 1891, une foule estimée à 100 000 personnes par le maire de Montréal James McShane attend l’arrivée du cortège du patriote de 1837. Or, Marsil se présente sans l’urne et doit expliquer au public que Mgr Charles-Édouard Fabre s’oppose à l’enterrement. Le refus de l’évêque de Montréal s’explique probablement par l’ampleur que l’évènement aurait prise, de même que par le risque de confrontation élevé entre les partisans et les opposants au projet. Aux dires de son fils Trancrède, David Marsil aurait pleuré à la suite de ce nouveau revers.
Après cette deuxième déception, le chirurgien de Saint-Eustache revient en 1893 à son idée initiale, c’est-à-dire réaliser une statue de Chénier et l’exposer sur une place publique. Cette fois, il peut compter sur un appui de taille : l’ancien premier ministre québécois Honoré Mercier se joint au comité nouvellement créé à titre de deuxième vice-président d’honneur. Ce comité inclût aussi l’auteur Louis Fréchette, qui avait participé au premier projet de Marsil. Grâce à une importante campagne de souscriptions, le comité parvient à récolter la somme nécessaire à la fabrication de la statue. Un seul problème se pose alors : personne au pays n’accepte le contrat, de peur de tremper dans la controverse. Qu’à cela ne tienne, la statue est commandée à Salem, en Ohio, et transportée à Montréal.
En 1895, après deux ans de préparatifs, David Marsil peut dévoiler fièrement, devant une foule d’environ 3 000 personnes entassées sous la pluie, le fruit de son travail : une statue de six pieds et demi de Chénier, le bras levé pour encourager ses hommes à le suivre, au coin des rues Craig et Saint-Denis, à l’extrémité ouest du square Viger. Il semblerait que Marsil ait songé à enterrer les cendres du docteur Chénier sous ce monument, mais ce ne fut finalement pas fait. Il faudra attendre 1987, près d’un siècle après le décès de David Marsil, pour que la Société Saint-Jean-Baptiste parvienne à convaincre l’Église catholique du Québec de permettre l’enterrement de Chénier dans le cimetière de Saint-Eustache, en terre bénite.
Les multiples efforts de Marsil pour commémorer l’œuvre de Jean-Olivier Chénier lui valent le respect de plusieurs membres de l’élite canadienne-française, qui lui donnent une foule de surnoms flatteurs : patriote du Nord, vieux patriote, ardent patriote, grand patriote, et même « successeur de Chénier ». Il ne fait nul doute, en effet que David Marsil a grandement contribué à propager l’histoire des patriotes de 1837-1838 et à l’inscrire dans le récit national du Québec contemporain.
La disparition de M. Marsil laisse un vaste vide dans les rangs des patriotes les plus sincères et les plus ardents de notre pays.
L'Avenir du Nord, 27 janvier 1899.
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Références bibliographiques
ARMSTRONG. « Le monument Chénier et quelques-uns des membres du comité d’organisation », Bibliothèque et Archives nationales du Québec (en ligne), https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2075683?docsearchtext=comit%C3%A9%20ch%C3%A9nier.
BERNARD, JEAN-PAUL. « CHÉNIER, JEAN-OLIVIER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003 (en ligne), http://www.biographi.ca/fr/bio/chenier_jean_olivier_7F.html.
FRÉCHETTE, LOUIS. Chénier : Épisode de l’insurrection canadienne de 1837 (Montréal, 1885).
« Jean-Olivier CHÉNIER, médecin 1806-1837 », L’écho de St-Justin, 5 mars 1936.
LANGLOIS, JEAN-PIERRE. « L’Église face aux patriotes de 1837-1838 », Société canadienne d’histoire de l’Église catholique, vol. 51, 1984.
LAURIN, Clément. « David Marsil, médecin et patriote de Saint-Eustache », Cahiers d’histoire de Deux-Montagnes, hors-série, été 1978.
La Patrie, 26 janvier 1899.
La Patrie, 2 février 1899.
« La réhabilitation des Patriotes, une affaire de cœur qui a débuté…il y a cent cinquante ans », La Presse, 13 juin 1987.
L’Avenir du Nord, 27 janvier 1899.
Le Réveil, 14 septembre 1895.
Le Réveil, 28 janvier 1899.
« Les Rébellions du Bas-Canada », Les Patriotes de 1837-1838 (en ligne), http://www.1837.qc.ca/1837.pl?out=article&pno=5536&cherche=MONUMENT.
Le Soleil, 28 janvier 1899.
L’Illustration, 4 avril 1932.
LIVERNOIS, JEAN-BENOIT. « 100 000 personnes attendent un patriote à Montréal en 1837 », Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (en ligne), https://ssjb.com/1837-100-000-personnes-attendent-un-patriote-a-montreal/.
« Montréal et ses monuments – Le monument de Chénier ». L’Album universel, 12 janvier 1907.
« Réponse de M. Tancrède Marsil à une question de M. Henri Bourassa : Où sont les restes de Chénier ? » (1925), cité dans La Varlope, volume 1, num. 2.
ROY, PIERRES-GEORGES. « Les monuments commémoratifs de la province de Québec », Commission des monuments historiques de la province de Québec (Québec : Ls.-A. Proulx, 1923).
Qui a écrit cet article?
Anthony M. Lafontaine est détenteur d’un baccalauréat et d’une maîtrise en histoire de l’Université de Montréal. Auteur publié, il a occupé différents emplois en centres d’archives ainsi qu’au sein du monde municipal. Il est chargé de projet pour Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache depuis septembre 2021.