À l’occasion des commémorations entourant le 175e anniversaire de décès du curé Jacques Paquin, Anthony M. Lafontaine, historien et chargé de projet, vous propose cinq textes pour en apprendre davantage sur ce drôle de personnage qui a marqué l’histoire eustachoise de plus d’une façon.
Cette série d’articles a été réalisée grâce au soutien financier du gouvernement du Québec, de la Ville de Saint-Eustache et de Desjardins Caisse de Saint-Eustache – Deux-Montagnes.
L’église de Saint-Eustache et l’ancien couvent Notre-Dame, qui abrite aujourd’hui la mairie de Saint-Eustache, comptent sans contredit parmi les bâtiments qui définissent Saint-Eustache. Leur beauté et l’histoire dont ils sont les témoins en font des incontournables pour les visiteurs et les visiteuses. L’un et l’autre sont les fruits du travail acharné de Jacques Paquin, curé de Saint-Eustache. En effet, non seulement le prêtre conçoit-il ces deux projets, mais il milite aussi durant plusieurs années pour qu’ils se concrétisent. Bien que populaires auprès d’une majorité de paroissiens, les idées de Paquin rencontrent beaucoup de résistance, notamment de la part du co-seigneur Eustache-Antoine Lefebvre de Bellefeuille et d’un curé voisin qui agit dans l’ombre pour lui nuire.
À la fin des années 1820, les croyants et les croyantes s’entassent dans une église qui est désormais trop petite pour la taille de la communauté. Déjà insatisfait des travaux réalisés par son prédécesseur, Jacques Paquin décide de modifier profondément l’église paroissiale. Il souhaite l’allonger « par le devant » de 25 pieds et lui ajouter une nouvelle façade qui serait flanquée de deux tours de soixante pieds de hauteur. En échange du soutien financier des fidèles , le curé s’engage à payer lui-même la construction d’un couvent servant à l’éducation des jeunes filles. Paquin lance les travaux de ce couvent dès 1828 pour prouver à ses ouailles qu’il tiendra parole, ce qui semble fonctionner. Avant même d’obtenir l’autorisation de rénover l’église de la part de l’évêque de Québec, Bernard-Claude Panet, l’infatigable curé fait venir les pierres nécessaires aux travaux. Entre 150 et 200 traîneaux les apportent au village en janvier 1829.
C’est à la fin de l’année 1829 que les choses se corsent pour le prêtre eustachois. Fonceur de nature, il sous-estime l’opposition d’une partie des fidèles à ses projets, particulièrement celui de l’agrandissement de l’église. En effet, plusieurs se questionnent sur la pertinence des travaux, le temple ayant été modifié quelques années auparavant sous le curé précédent. Un mouvement de résistance s’organise alors autour du co-seigneur Eustache-Antoine Lefebvre de Bellefeuille. Dans une lettre à Mgr Panet, cet homme influent explique ainsi la situation : « Notre presbytère et une tour à l’église, nous ont coûté la somme énorme de 56,000 livres et, voilà que notre curé nous parle de démolir cette tour (ouvrage excellent et tout neuf) et d’allonger l’église de trente pieds, avec deux tours en avant […] de sorte que les Paroissiens [sic] à peine quittes de la première répartition, ont de la belle perspective d’avoir encore des argens [sic] à débourser pendant cinq ou six ans. » La solution proposée par de Bellefeuille? Diviser la paroisse de Saint-Eustache pour en former une nouvelle regroupant toutes les terres appartenant au co-seigneur. Celui-ci fait afficher une notice aux portes de l’église pour que ceux qui appuient sa démarche se manifestent et récolte ainsi 164 signatures en faveur de la création de cette nouvelle paroisse.
Pour Jacques Paquin, un tel démembrement serait catastrophique, tant pour son ego que du point de vue financier : il perdrait une grande partie de ses paroissiens et paroissiennes et ne parviendrait plus à financier la rénovation de l’église. Il ne perd pas de temps et dénonce le projet à l’évêque auxiliaire de Montréal, Mgr Jean-Jacques Lartigue : « La ruine complète de 5 à 600 individus du village qu’amènerait infailliblement cette scission doit sans doute entrer dans la balance des motifs qui prohibent cette division d’une même paroisse en deux parties également pauvres. Je dois donc prier votre grandeur [sic] de faire en sorte qu’elle n’ait pas lieu ». Selon le curé Paquin, le co-seigneur de Bellefeuille n’agit ainsi que pour rehausser son prestige et ses revenus en ayant une nouvelle église et un nouveau village sur sa propre seigneurie.
En mars 1830, pour faire taire l’opposition, Paquin demande officiellement à Mgr Panet la permission de lancer les travaux d’agrandissement de l’église sous la forme d’une requête signée par plus de 400 chefs de famille eustachois. À sa manière colorée, il ne manque pas de souligner qu’il récolte beaucoup plus d’appuis que son rival : « Notre requête offre des signatures remarquables et en nombre si imposant qu’il est difficile de prétendre les annihiler avec le souffle impuissant de Bellefeuille ». Le co-seigneur de Saint-Eustache en arrive à la même conclusion : au printemps 1830, il abandonne l’idée de créer une nouvelle paroisse et se range derrière les projets du curé Paquin après une discussion « très pacifique, au presbytère ».
Ce que Jacques Paquin apprend plus tard, c’est qu’un autre adversaire agit contre lui à partir d’une paroisse voisine. En effet, le curé de Sainte-Thérèse, Charles Ducharme, nourrit la grogne des Eustachois en répétant que Paquin les ruinera par ses idées d’embellissement de l’église. D’après ce que laisse sous-entendre Paquin, Ducharme se fait aussi prophète de malheur en ce qui concerne le couvent et ce, malgré la promesse faite par Paquin de le construire entièrement à ses frais. Lorsqu’il apprend ce que fait son voisin, le prêtre de Saint-Eustache ne mâche pas ses mots : il traite son confrère de cafard, d’envieux, de « Python de Sainte-Thérèse »!
Le conflit est définitivement réglé en mai 1830, lorsque le curé Paquin obtient la permission de Mgr Bernard-Claude Panet de réaliser les rénovations souhaitées. En 1833, les travaux à l’église et la construction du couvent sont terminés. Jacques Paquin n’est cependant pas au bout de ses peines : les deux bâtiments seront incendiés et devront être reconstruits au lendemain de la rébellion de 1837 à Saint-Eustache…
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Correspondance du curé Jacques Paquin, Archives de l’évêché de Saint-Jérôme, Paroisse de Saint-Eustache, 1821-1847.
GRIGNON, Claude-Henri. « La Vie et l’Œuvre du curé Paquin », Cahiers d’histoire de Deux-Montagnes (été 1978) : 61–82.
GRIGNON, Claude-Henri. « L’église du souvenir » (1ère partie), La Revue des Deux-Montagnes, no 7, juin 1997.
GRIGNON, Claude-Henri. « Un curé au temps des Patriotes », La Revue des Deux Montagnes, vol. 5 (1996) : 67-96.
LAURIN, Clément. « L’historique et légendaire église de Saint-Eustache-de-la-Rivière-du-Chêne », Cahiers d’Histoire de Deux-Montagnes, Vol. 2, numéro 3, août 1979.
LEMIRE, Jonathan. L’église de Saint-Eustache : Une histoire mythique, patriotique et symphonique, 2013.
MESSIER, Alain. Dictionnaire encyclopédique et historique des patriotes, 1837-1838 (Montréal : Guérin, 2002).