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Jean-Joseph Girouard : capitaine de milice

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

Le notaire de Saint-Benoît Jean-Joseph Girouard a porté plusieurs chapeaux tout au long de sa vie. Avant d’entreprendre son notariat, le jeune clerc s’enrôle dans la milice canadienne.

À peine âgé de 17 ans et après s’être d’abord engagé dans un corps de volontaires à Lachine, il sert à Montréal en 1812 en tant qu’adjudant au sein du bataillon de milice de Lavaltrie. Cette participation est évidemment en lien étroit avec la guerre qui oppose l’Angleterre (donc les colonies d’Amérique du Nord britannique) aux États-Unis.

Parallèlement, à son implication dans les débats publics et à la pratique du notariat, il occupe le grade de capitaine de milice dans le bataillon de la Rivière-du-Chêne à compter du 1er septembre 1821, et ce, pour la paroisse de Saint-Benoît. La Gazette de Québec, dans son édition du 12 novembre 1821, nous confirme que Girouard, jusque-là « simple » milicien, est promu au grade de capitaine de milice pour le Bataillon du comté d’York, division de la Rivière-du-Chêne.

Extrait de La Gazette de Québec, 12 novembre 1821, p. 1.

Dans les milieux ruraux, il faut savoir que le titre de capitaine de milice était très important, voire honorifique au sein des institutions locales bas-canadiennes. La première tâche qui incombe au capitaine de milice est de réaliser un recensement des hommes à sa charge. Il y dénombre les hommes formant son régiment en y mentionnant leur nombre, leur âge, leur état civil, leur infirmité (s’il y a lieu), le nombre de fusil, etc. Girouard dispose alors de 141 miliciens et de 41 fusils. Il recense en outre 14 « infirmes » et 11 absents.

À la base, tous les hommes âgés entre 16 et 60 ans étaient tenus de participer à une revue annuelle. Chaque été, le capitaine de milice réunit sur la place publique du village les hommes de sa compagnie, chacun muni de son fusil (le cas échéant). En théorie, après leur dénombrement, les hommes devaient s’exercer au maniement d’armes. Dans les faits, cette tradition bien encrée, et pourtant bien légiférée, était plutôt un prétexte pour honorer le capitaine de milice ; individu pour lequel on vouait un grand respect dans la communauté. Les miliciens élevaient ensuite un grand mât devant la maison de leur capitaine. C’est la cérémonie de plantation du mai. On prenait un majestueux conifère auquel on élaguait le tronc à l’exception des branches du dessus, que l’on décorait, et sur lequel on déchargeait quelques rafales de fusils. L’événement se terminait généralement par un grand banquet festif.

Plantation du mai. (Représentation par Charles William Jefferys, assisté de Thomas Wesley, The Ryerson Press, Toronto, McClean, 1942.)

Au dire de Béatrice Chassé, auteure d’une thèse de doctorat sur le notaire de Saint-Benoît, d’ordinaire, la milice canadienne ne servait que rarement en tant que force « constabulaire », mais plutôt en terme « nominal » « pour démontrer un esprit d’obéissance à la loi ». La crise politique sous Dalhousie, qui caractérise la bouillante année 1827, remettra en question le rôle de capitaine de milice du chef patriote.

George Ramsay, 9e comte de Dalhousie (1770-1838) est gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique de 1820 à 1828. Cet important officier et administrateur colonial est reconnu pour être intelligent et surtout animé d’un sens extrême du devoir. Il est aussi en 1827-1828 le commandant en chef de la milice au Bas-Canada. Durant ses années au pouvoir, il provoque quelques crises politiques dû en partie à son obstination à faire voter les subsides. Pour sa part, la Chambre d’assemblée tient à conserver son obligation constitutionnelle qui veut qu’elle vote annuellement toutes les dépenses du gouvernement civil. Par surcroît, les députés décident de voter le dit budget article par article. Puis, en mars 1827, l’Assemblée rejette de nouveau la demande de crédit du gouverneur. Dalhousie bouillonne. Il proroge donc la législature, dissout le parlement et ordonne de nouvelles élections. En fait, le gouverneur est prêt à tout pour empêcher la réélection du parti canadien et surtout celle de son chef, Louis-Joseph Papineau.

Assemblée de protestation contre le gouverneur Dalhousie sur la question des subsides en 1827. (Dessin par J. McIsaac, publié par Elie de Salvail dans 366 Anniversaires canadiens, Montréal, Frères des Écoles chrétiennes, 1930, p. 325. Tiré de Robert-Lionel Séguin, L’esprit révolutionnaire dans l’art québécois, Montréal, Éditions Parti-Pris, 1972, p. 59.)
Sir George Ramsay, lors Dalhousie. (Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), 03Q, P1000, S4, D83, PD4, vers 1960, photographe non identifié.)

Au début de novembre 1827 se tiennent les nouvelles élections où Dalhousie appuie ouvertement les candidats constitutionnels. Toutefois, le parti canadien obtient une majorité accrue au suffrage. Papineau triomphe et élu comme orateur de la Chambre d’assemblée. Dalhousie désapprouve de nouveau cette nomination et invite les députés à faire un autre choix, ce que la Chambre refuse évidemment. Le gouverneur a vraisemblablement un conflit de personnalité et d’idéologie avec le chef patriote en qui il voit un représentant du « despotisme libéral ». Il proroge ainsi une seconde fois la législature. C’est la consternation en Angleterre et au sein de la population bas-canadienne. Même certains journaux du Haut-Canada, des États-Unis et d’Angleterre dénoncent les agissements arbitraires du représentant de Sa Majesté en Amérique du Nord. Non seulement le gouverneur proroge la législature à deux reprises, mais il s’adonne à une purge sans précédant au sein de la milice et la magistrature. Partout au Bas-Canada, lord Dalhousie démis des officiers de milice et des juges de paix accusés d’avoir critiqué ouvertement le gouvernement.

C’est donc dans ce contexte qu’a lieu l’importante assemblée du 4 juin 1827 à Saint-Eustache qui vise à dénoncer les agissements perfides du gouverneur, mais aussi du lieutenant-colonel de milice et seigneur Eustache-Nicolas Lambert-Dumont. À la suite de ce rassemblement important, plusieurs capitaines et enseignes de la région sont démis de leur fonction par ce dernier. Conséquemment, Girouard décide de renvoyer sa commission de milice. À sa suite, 12 autres miliciens font de même dans le but de soutenir ceux qui furent destitués l’été précédent à la suite de leur participation à ladite assemblée de Saint-Eustache.

Dans une lettre adressée directement au gouverneur, il affirme :

« Il devient donc de mon honneur de vous remettre une commission qui me soumet à de pareils désagréments, et qui, quelqu’insignifiante qu’elle soit dans l’état actuel de notre législation, me serait probablement bientôt otée, lorsque je recevrais
des ordres pour exiger de la part de mes miliciens des exercices que je ne crois point dûs et que je ne pourrais point consciencieusement requérir d’eux. En vous la renvoyant, monsieur, je ne m’en croirai pas plus libre ; mais du moins pourrai-je m’enorgueillir de me trouver au rang honorable de ceux qui ont encouru le déplaisir de notre présente administration. »

On retrouve ensuite Jean-Joseph Girouard à une vaste assemblée tenue à Vaudreuil le 27 décembre 1827, alors qu’il joue un rôle prépondérant à titre de secrétaire. Le Dr Jacques Labrie y fait un véhément discours afin de dénoncer les agissements fallacieux du gouverneur et du seigneur de l’endroit ; discours que Girouard s’empresse d’en rédiger un important résumé dans les pages de La Minerve dans les jours suivants. En janvier 1829, il est appelé à la barre à titre de témoin au procès de ses camarades destitués un an et demi plus tôt. Il répond à près d’une vingtaine de question relativement à la tenue de l’assemblée du 4 juin 1827 à Saint-Eustache, dénonçant à nouveau la conduite de Lambert-Dumont.

Portrait du Dr Jacques Labrie. (BAnQ, P1000, S4, D83, PL5, Portrait de Jacques Labrie, date et artiste inconnus.)

Fait intéressant : du 1er mai 1827 au 8 septembre 1828, ce sont 433 destitutions qui s’opèrent au Bas-Canada. Ce sont en contrepartie 939 autres individus – ceux-là partisans du gouvernement – qui sont nommés et/ou promus au sein de la milice canadienne.

Une vaste pétition de 87 000 noms est élaborée au tournant des années 1827 et 1828. Envoyée aussitôt aux Communes de Londres, celle-ci sera reçue avec fracas si bien que Londres conclut que la situation ne se règlera jamais sous la gouverne de Dalhousie que l’on mute en vain en Inde à titre de commandant des forces anglaises en juillet 1829.

Pour ce qui est Jean-Joseph Girouard, il se fait offrir ensuite un poste de magistrature par le nouveau gouverneur James Kempt ; charge qu’il décline poliment. À la suite du décès de son proche ami, le Dr Jacques Labrie, le 26 octobre 1831, il deviendra député de comté des Deux-Montagnes lors d’une élection partielle tenue quelques semaines plus tard.

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. 

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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