Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard.
Après s’être enrôlé au sein de la milice canadienne lors de la guerre opposant les colonies britanniques d’Amérique du Nord (l’Angleterre) aux États-Unis, Jean-Joseph Girouard complète son stage notarial et reçoit finalement sa commission en 1816. Il s’établit aussitôt dans la région du Grand-Brûlé (Saint-Benoît) où il côtoie les plus fervents réformistes non seulement du village, mais du grand comté d’York.
Dès lors, il est à même de s’imprégner des revendications des tenants de la cause libérale sur la rive-nord de Montréal. Il se lie d’abord d’amitié avec Jean-Baptiste Dumouchel, important marchand de Saint-Benoît. De par son leadership et son pragmatisme reconnu, il devient l’un des chefs patriotes de l’endroit, notamment avec les frères Luc-Hyacinthe et Damien Masson, médecin et marchand, Jean-Baptiste Dumouchel et ses fils Vital-Léandre, Hercule et Camille, le notaire Ignace Raizenne et le curé Étienne Chartier.
Girouard s’intéresse rapidement à la politique. En 1822, il s’oppose d’abord au projet d’union du Haut et du Bas-Canada aux côtés de son ami le Dr Jacques Labrie, de Saint-Eustache. Le 4 juin 1827, il participe activement à une importante assemblée à Saint-Eustache, présidée par son collègue et ami Ignace Raizenne ; assemblée suite à laquelle il est aussitôt destitué de son grade d’officier de milice et ce, pour insubordination, par le lieutenant-colonel, député et coseigneur Eustache-Nicolas Lambert-Dumont.
Après le décès prématuré du Dr Labrie en octobre 1831, Girouard est unanimement porté à la tête du comté d’York (Deux-Montagnes) lors d’une élection partielle le 20 décembre suivant. À ce moment, Girouard se rapproche de Louis-Joseph Papineau, leader charismatique du « Parti patriote », mais aussi d’Augustin-Norbert Morin, député de Bellechasse. Député discret en Chambre, Girouard demeure la pierre angulaire des patriotes au nord de Montréal. Il participe en ce sens à plusieurs assemblées publiques (1834-1837) afin de promouvoir les 92 Résolutions adoptées par la Chambre d’assemblée du Bas-Canada au début de 1834.
D’ailleurs, la même année, il est réélu dans la circonscription des Deux-Montagnes aux côtés du marchand écossais de Saint-Eustache William Henry Scott, après une élection marquée par la violence. Puis, à l’été 1835, Girouard est nommé à la vice-présidence de l’Union patriotique du comté des Deux-Montagnes.
L’événement majeur auquel Girouard est étroitement associé se déroule le 1er juin 1837 à Sainte-Scholastique. Cette grande assemblée sera la plus importante jamais organisée au nord de Montréal par les patriotes. Papineau y prononcera d’ailleurs un discours véhément aux côtés de Girouard et d’autres. Il sillonnera ensuite non seulement le comté des Deux-Montagnes, mais aussi ceux de Vaudreuil et Terrebonne afin de se prononcer publiquement en faveur des 92 Résolutions et pour dénoncer les agissements perfides du gouvernement colonial.
Le 15 octobre 1837, il est (ré)élu juge de paix pour la paroisse de Saint-Benoît, puis se rend à Saint-Charles, en tant que représentant des Deux-Montagnes, où il participe activement à la grande assemblée des Six-Comtés, le 23 octobre. Dès le début de novembre, il promouvoit l’établissement de tribunaux populaires extraordinaires. Ayant ensuite sa tête mise à prix pour 500 £ par les autorités, Girouard voit plusieurs de ses « partisans » venir le soutenir pour finalement organiser, tant bien que mal, une résistance armée, tout comme à Saint-Eustache. Toutefois, contrairement aux Chartier, Chénier et Girod qui désirent « marcher » sur Montréal, Girouard, pragmatique, tempère le groupe qui demeure sur la défensive, craignant davantage une attaque des volontaires loyalistes d’Argenteuil.
Lors de la bataille du 14 décembre 1837 à Saint-Eustache, Jean-Joseph Girouard s’affère à préparer son village à une résistance passive. Dès le lendemain, l’armée britannique, composée de plus 1 500 hommes et ayant à sa tête le général John Colborne, arrive au Grand-Brûlé. Dès lors, la population du village rend les armes sans condition. Les chefs Girouard, Dumouchel, Masson, Chartier et plusieurs autres, sont en fuite.
Pour sa part, Girouard passe la nuit du 15 au 16 décembre caché dans le grenier d’une maison aux abords du lac des Deux-Montagnes. Il gagne ensuite Vaudreuil, puis Saint-Polycarpe et enfin à Côteau-du-Lac où, apprenant l’arrestation de ses amis Dumouchel et Masson, il se constitue prisonnier au colonel John Simpson afin « de partager leur sort, quel qu’il soit », dira-t-il plus tard.
Le notaire de Saint-Benoît est donc incarcéré à la prison « neuve » de Montréal (actuelle prison du Pied du Courant), le 26 décembre 1837. De par son statut social, il est mieux traité que la plupart de ses compagnons d’infortune, à l’instar du Dr Wolfred Nelson, leader des patriotes de Saint-Denis. Derrière les barreaux, il entretient une importante correspondance avec sa femme, mais aussi plusieurs de ses amis, notamment Augustin-Norbert Morin. Refusant de signer un aveu de culpabilité, il est libéré moyennant le versement d’une énorme caution 5 000 £. Il est incarcéré à nouveau le 4 novembre suivant, et ce, jusqu’au 27 décembre. Pendant neuf mois d’incarcération, Girouard en profite pour portraiturer une centaine de ses compagnons d’infortune. Sans le savoir, il lèguera ainsi un vaste trésor national par son talent indéniable.
À son retour chez lui, il est presque totalement ruiné. Il s’atèle d’abord à reconstruire sa maison (la « maison blanche » que l’on connaît aujourd’hui), puis reprend le notariat. En septembre 1842, le ministère Baldwin-La Fontaine lui offre un poste au sein du gouvernement réformiste ; nomination qu’il refuse poliment pour des raisons de santé. Il consacre finalement la fin de sa vie aux bons soins des pauvres aux côtés de sa seconde épouse, Émélie Berthelot.
Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.
Qui a écrit cet article?
Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001).
Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018).
Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.