Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard.
Le notaire patriote de Saint-Benoît est largement reconnu pour le vaste trésor national qu’il a légué par le biais de sa production picturale derrière les barreaux en 1838. Effectivement, après avoir portraituré plusieurs membres de sa famille ainsi que quelques-uns de ses généraux lors de la guerre de 1812, il mettra son talent à profit lors de son incarcération à la prison « neuve » de Montréal.
Girouard est mis sous les verrous à deux reprises en 1838. Durant sa première incarcération, soit du 26 décembre 1837 au 16 juillet 1838, il réalisera une quantité impressionnante de portraits de ses compatriotes, tous accusés, tout comme lui, de haute trahison. Il ne dessine pas moins de 75 portraits, dont 70 sont des prisonniers politiques. Parmi les autres cependant, on retrouve les esquisses du geôlier Charles Wand, du teneur de livre et assistant-geôlier Pierre-Jacques Beaudry et de l’éditeur newyorkais William Hayward. C’est durant cette faste période qu’il réalise les portraits de plusieurs de ses amis du comté des Deux-Montagnes : Jean-Baptiste Dumouchel et ses deux fils Hercule et Camille, les frères Luc-Hyacinthe et Damien Masson, les Joseph Robillard père et fils, Pierre-Auguste Labrie et Jean-Olivier Chénier.
Durant ces longs mois d’emprisonnement, le notaire demande à maintes reprises à son épouse, Marie-Louise Félix, de lui procurer le matériel nécessaire pour sa production picturale, que ce soient des pastels, des crayons de toutes sortes, du papier (quelle couleur qu’il soit), etc.
À sa sortie de prison en juillet 1838, il constate les ruines de son village ; dévastation qu’il immortalise dans un dessin éblouissant de réalisme. Le leader patriote est ensuite remis derrière les barreaux du 4 novembre au 27 décembre 1838. Durant ces quelques semaines, il dessine les profils d’une quinzaine d’autres prisonniers politiques, notamment : Amable Berthelot, Joseph-Amable Berthelot (fil) (son futur beau-frère), Édouard-Raymond Fabre, Jean-Baptiste-Henri Brien. Dès lors, l’artiste se met à l’œuvre, mais pour ce faire, il se dote d’une petite table afin d’y réaliser ses croquis. C’est durant cette période qu’Adèle Berthelot, épouse de Louis-Hippolyte La Fontaine, lui procure du papier et des crayons.
Neuf ans après les événements insurrectionnels, Girouard fait une réclamation à la Commission des pertes chargée d’étudier les demandes des habitants ayant subi des dommages durant les rébellions de 1837-1838. Le 14 février 1846, il déclare la perte de « plus de 20 portraits de famille et autres à l’huile et au pastel, cadres dorés, dont quelques-uns ont été rachetés des soldats, mais sont très endommagés ». Dans ce même inventaire, il déclare la perte d’ouvrages relatifs aux arts plastiques, notamment de l’artiste français Claude-Henri Watelet : le Dictionnaire des arts de peinture, sculpture et gravure (1792) et le Dictionnaire des beaux-arts (1783-1791) qui prouve un intérêt marqué du député des Deux-Montagnes pour les diverses techniques d’applications artistiques. Par surcroît, il semble avoir été en possession d’un impressionnant inventaire d’instruments artistiques. Entre autres choses, il réclame aussi au gouvernement la perte des articles suivants : « Sept boîtes de pastels assortis, 2 boîtes de crayons nuancés, papier de bourre de soie pour le pastel, estampes, cadres et toiles, 2 boîtes de couleurs à l’eau, coupes, marbres et molettes, pinceaux à l’huile et à miniature, palettes d’ivoire, porphire et spatules. […] »
Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard et sa carrière de portraitiste, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.
Qui a écrit cet article?
Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001).
Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018).
Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013.
Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.