Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard.
Le notaire patriote de Saint-Benoît Jean-Joseph Girouard est principalement reconnu pour ses talents de portraitistes. Cependant, celui-ci avait un large spectre d’intérêts dans les arts : sculpture, peinture, dessin, architecture, musique, etc. Il possédait notamment chez lui un piano, un harmonium, une guitare et quelques instruments à vent.
Grand consommateur d’arts, sa bibliothèque foisonnait d’ouvrages sur toutes ces disciplines. De par sa réclamation adressée au gouvernement après les troubles de 1837, nous savons, aux dires de Béatrice Chassé, auteure d’un vaste mémoire sur ce dernier, que Girouard possédaient « de nombreux ouvrages de droit, de physique, d’histoire, de science naturelle, d’art et de littérature. On y trouve les œuvres de Lebrun, de Lamartine, de Casimir de Lavigne, de Victor Hugo, de Lamennais, de Béranger et de Montesquieu. Aussi figurent dans son inventaire, des dictionnaires de droit, d’art militaire, des beaux arts, de peinture et des hommes illustres ; un cours de littérature de Fontenelle, des traités de médecine, d’architecture et de géométrie curviligne ».
Fait intéressant dans la vie de Girouard : il fut l’un des rares propriétaires du plus intéressant et du plus volumineux manuscrit de musique d’orgue française de l’époque de Louis XIV à nous être parvenu : Le Livre d’orgue de Montréal. Bibliothèque et Archives nationales du Québec nous renseigne grandement sur ce document d’une valeur historique et archivistique inestimable. Voici sa petite histoire…
Ce document exceptionnel fut apporté en Nouvelle-France en 1724, mais plus spécifiquement à Montréal, par un certain Jean Girard (1696-1765) qui était un clerc sulpicien originaire de Bourges et qui fut maître d’école et surtout organiste à l’église Notre-Dame de Montréal. Il fut conséquemment le premier musicien « professionnel » à Montréal.
Le document de 540 pages comprend 398 pièces musicales pour orgue, toutes composées entre 1675 et 1724. De celles-ci, seulement seize sont clairement identifiées comme étant de Nicolas Lebègue (1630-1702), organiste du roi de France ; les autres sont anonymes, quoi que probablement de ses propres élèves ou de Lebègue lui-même.
Le manuscrit fut découvert en 1978 par la musicologue Élisabeth Gallat-Morin dans les archives du notaire Girouard, dans le Fonds des familles Girouard et Berthelot, alors contenu au Centre de recherche Lionel-Groulx, à Montréal. En 1981, le manuscrit fut publié par la Fondation Lionel-Groulx en fac-similé. La première interprétation publique d’extraits de son contenu s’est déroulée la même année lors de l’inauguration de l’orgue Hellmuth Wolff, dans la salle Redpath de l’Université McGill, et ce, par l’organiste et claveciniste Kenneth Gilbert. Des extraits de longueurs variables furent aussi enregistrés pour la radio de Radio-Canada dans les mois qui suivirent. Puis, une édition critique de trois volumes fut publiée aux Éditions Jacques Ostiguy (Saint-Hyacinthe, 1985, 1987 et 1988) sous la supervision d’Élisabeth Gallat-Morin et de Kenneth Gilbert. Cette dernière y consacrera d’ailleurs une importante thèse de doctorat qui sera publiée tant à Montréal qu’à Paris.
Nous ne connaissons que peu de chose sur la propriété du vaste document. Ce gros livre, relié en parchemin, est relativement en bon état malgré des signes d’usure flagrants. Chaque page comporte quant à elles de six à huit portées. Ce livre oblong mesure 21 cm par 26,5 cm et porte le titre sur son dos : Pièces d’orgue. Sur la couverture du livre, on retrouve les signatures de deux anciens propriétaires, à savoir Girard 1724, puis J.-J. Girouard 1847.
Il faut savoir que par sa profession de notaire, Girouard entretenait des liens étroits avec les Sulpiciens, eux-mêmes propriétaires de la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes qu’il habitait lui-même. À son décès en 1855, l’ouvrage est demeuré entre les mains de sa veuve, Émélie Berthelot, puis plusieurs années plus tard, il est légué par Jeanne Girouard-Décarie, arrière-petite-fille de Girouard, aux bons soins du chanoine et historien Lionel Groulx, dont les archives formeront éventuellement la collection principale du centre de recherche du même nom dans le quartier Outremont, à Montréal.
Destiné au culte religieux, cet imposant document servi selon toute vraisemblance à la basilique Notre-Dame où Jean Girard jouait lui-même. Aujourd’hui, au dire de l’Encyclopédie canadienne, « les organistes québécois ont pris l’habitude d’inscrire des extraits du Livre d’orgue de Montréal à leur programme ». Le 13 mars 2017, dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal, une grande représentation échelonnée sur 13 heures du Livre d’orgue, réunissant 50 organistes, fut donnée à la salle Redpath de McGill. Une première intégrale quoi.
Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.
Qui a écrit cet article?
Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001).
Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018).
Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013.
Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.