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Portraits de patriotes : quelques cas particuliers

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

Dans l’élaboration de l’ouvrage Portraits de patriotes, 1837-1838 : Œuvres de Jean-Joseph Girouard, j’ai été à même de faire quelques constats intéressants. Ce qui frapper au premier coup d’œil, c’est évidemment le profil des portraiturés. Plus de 90 (sur 100) sont représentés du côté gauche, alors que trois seulement sont du côté droit. D’autres sont quant à eux dessinés aux trois-quarts. C’est le cas d’Amable Berthelot, Louis-Hippolyte La Fontaine et Ignace Dumouchel, beau-frère de Girouard. Ce dernier pourrait toutefois se classer parmi les rares représentations de face parmi lesquelles on retrouve Pierre-Amable Boucher de Boucherville et Wolfred Nelson.

Outre les portraits de ses compagnons d’infortune, le notaire de Saint-Benoît, tire les traits du personnel carcéral de la prison neuve où il est détenu. C’est le cas de Pierre-Jacques Beaudry et de Charles Wand, respectivement assistant-geôlier et geôlier de ladite prison. La vaste collection de portraits de patriotes contenue à Ottawa contient aussi le portrait d’une énigmatique éditeur-libraire new-yorkais du nom de William Hayward.

D’ordinaire, le patriote portraitiste ne réalise qu’un seul portrait d’un sujet, voire à l’occasion deux : il conserve essentiellement toutes ses réalisations, mais se donne bien le droit d’en donner un gracieusement à la famille du portraituré concerné. Parmi les doublons, on retrouve son beau-père et son beau-frère Joseph-Amable Berthelot (père et fils), Robert-Shore-Milnes Bouchette, juriste de Québec, et Neil Scott, marchand de Sainte-Thérèse. Le cas « multiple » le plus intéressant est sans nul doute celui du docteur Wolfred Nelson. Pour cause, Girouard ne réalise pas moins de quatre portraits du chef patriote de Saint-Denis. Considérés comme étant deux prisonniers « importants » (de par leur statut social), ils étaient tous deux logés dans des cellules à proximité malgré une interdiction momentanée de communiquer.

Portrait d’Amable Badeau, par Jean-Joseph Girouard. (Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Fonds Jean-Joseph Girouard, R5796-0-1-F, e010930943.)

À mon sens, les cas plus particuliers sont plutôt banals. Il s’agit, pour la plupart, de quelques marques distinctives à souligner. Prenons le cas du jeune Amable Badeau qui est le seul du groupe à être représenté muni d’un couvre-chef. Pour sa part, Georges Boucher de Boucherville arbore des petites lunettes. Neil Scott a quant à lui son propre chien dans ses bras. Représenté différemment des autres, l’avocat François-Guillaume DesRivières est littéralement allongé sur sa paillasse dans sa cellule. Le vieux Pierre-Amable Boucher de Boucherville possède finalement un détail particulier sur son col de manteau deux mots « convention » et l’autre… malheureusement illisible.

Portrait de François-Guillaume (dit Francis-William) Trottier-Desrivières, par Jean-Joseph Girouard. (BAC, Fonds Jean-Joseph Girouard, R5796-0-1-F, e010947098.)

En terme démographique, les plus jeunes patriotes à avoir été « profilés » par Girouard sont Camille Dumouchel et Georges-Gédéon de Lorimier, âgés de 18 ans. Du haut de ses 73 ans, le vieux Louis-Raymond Plessis-Bélair est le plus âgé. Sur les 97 portraiturés, 20 prisonniers politiques sont originaires de Montréal, alors que neuf proviennent de Saint-Eustache. En soi, près de 20 % des sujets dessinés viennent du vaste comté des Deux-Montagnes. Parmi tous ces hommes, on retrouve 26 marchands, 17 médecins, 11 cultivateurs, 10 avocat, 9 députés à la Chambre d’assemblée de la province, 9 notaires et même un prêtre un prêtre (Augustin-Magloire Blanchet) et un seigneur (Pierre-Amable Boucher de Boucherville).

Portrait de Georges-Gédéon de Lorimier, par Jean-Joseph Girouard. (BAC, Fonds Jean-Joseph Girouard, R5796-0-1-F, e010930941.)

La plupart des silhouettes comportent le nom du sujet accompagné d’une courte description factuelle et professionnelle. Pas moins de 85 individus ont eux-mêmes signé leur propre croquis. L’authentification autographique tend donc à confirmer que Girouard laissait libre cours à ses sujets pour ce qui est de la rédaction des informations biographiques. Par ailleurs, le papier utilisé par Girouard est de diverses qualités. Fait intéressant : 27 des 97 portraits sont dessinés sur un papier filigrane, dont 9 proviennent de la célèbre entreprise de papeterie anglaise de James Whatman.

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. 

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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