Avez-vous fait un tour au moulin Légaré récemment? Si c’est le cas, vous avez sans doute constaté que ça grouille pas mal du côté du moulin à scie depuis quelques semaines! Peut-être même vous êtes-vous gratté la tête en vous demandant qu’est-ce qui pouvait bien s’y tramer… Dans cet article, Mélissa Bureau-Capuano, notre responsable de l’éducation et de l’animation, vous offre un survol de l’histoire du moulin à scie, vous présente les interventions qui y seront réalisées au cours des prochains mois et vous explique les défis soulevés par ce chantier.
Vignette : Moulin Légaré, après 1926. (Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache)
Un peu d’histoire
C’est aux alentours de 1880 qu’est construit le moulin à scie. Le moulin Légaré appartient alors au seigneur Charles-Auguste-Maximilien Globensky, dont le majestueux manoir se trouve juste en face. Le seigneur Globensky devient propriétaire du moulin en 1874, au décès de sa première épouse, Virginie-Marguerite Lambert-Dumont. Celle-ci avait hérité de la seigneurie de la Rivière-du-Chêne – et donc du moulin – en 1841 à la mort de son père, le seigneur Charles-Louis Lambert-Dumont. Virginie-Marguerite Lambert-Dumont était l’arrière-petite-fille de Louis-Eustache Lambert-Dumont, qui avait fait construire le moulin Légaré en 1762.
Le moulin Légaré connaît plusieurs changements sur le plan technologique au cours des années 1880. Durant cette décennie, la grande roue est remplacée par trois turbines en fonte et un nettoyeur à grains s’ajoute aux mécanismes du moulin. L’une des trois turbines assure le fonctionnement du moulin à scie. Ce dernier ne compte alors qu’un seul étage.
En 1919, le meunier Magloire Légaré, propriétaire du moulin depuis 1907, ajoute un deuxième étage au moulin à scie et en fait un atelier de menuiserie. En 1926, les Légaré reconstruisent complètement le moulin à scie. Celui-ci conserve toutefois le même volume et la même implantation en « T » par rapport au moulin à farine.
On ignore en quelle année le moulin à scie cesse définitivement ses activités. Selon Daniel Saint-Pierre, maître meunier au moulin Légaré, la disparition de la Légaré, Duquette et cie en 1898 marque probablement la fin des activités commerciales du moulin à scie. Fondée en 1896 par Charles-Auguste-Maximilien Globensky, Magloire Légaré et Euclyde Duquette, la Légaré, Duquette et cie achetait et vendait du grain, de la farine et du bois. Toujours selon Daniel Saint-Pierre, les frères Donat et Philippe Légaré ont tout de même continué de scier à l’occasion quelques planches de bois pour des amis et des connaissances.
Des anciens mécanismes du moulin à scie, il ne reste plus qu’un arbre de transmission ainsi que deux volants. Aujourd’hui, le moulin à scie sert principalement à l’entreposage du grain. On y retrouve également deux toilettes ainsi qu’une chambre froide, construite en 2010 par des membres bénévoles de Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache afin d’y conserver la farine moulue au moulin.
Un moulin à scie en mauvaise santé
Saviez-vous que tout comme vous, les bâtiments patrimoniaux ont eux-aussi des carnets de santé? Généralement réalisé par des architectes, le carnet de santé d’un bâtiment historique dresse la liste des interventions effectuées sur le bâtiment depuis sa construction, décrit son état actuel et identifie les travaux à réaliser afin d’assurer sa conservation.
En 2019, la Ville de Saint-Eustache mandate la firme C2V Architecture afin de mettre à jour le carnet de santé du moulin Légaré. La Ville souhaite en effet déposer une demande d’aide financière auprès du ministère de la Culture et des Communications du Québec afin de poursuivre les travaux de restauration du moulin entamés en 2006.
Les auteur·rice·s du carnet de santé du moulin Légaré constatent le très mauvais état dans lequel se trouvent les fondations du moulin à scie : « Les fondations du côté de la rivière [du Chêne] sont déformées et fissurées. Sous le moulin, […] certains appuis sont insuffisants, très détériorés ou sommaires […] et certaines poutres sont fendues. » Il faut dire que le moulin à scie n’a pas été construit afin de pouvoir supporter plusieurs tonnes de grain, comme il le fait présentement.
Entamés à la fin du mois de septembre 2022, les travaux visent donc dans un premier temps à renforcer les fondations du moulin à scie. Une console en béton, similaire à celle construite en 2011 et en 2012 au pied du mur ouest du moulin à farine, viendra consolider les fondations du moulin à scie du côté de la rivière du Chêne. Les poutres qui soutiennent le plancher du moulin à scie seront également renforcées. On en profitera aussi pour nettoyer le sol sous le plancher du moulin à scie des débris qui le jonchent.
Dans un deuxième temps, l’escalier intérieur permettant d’accéder au deuxième étage du moulin à scie ainsi qu’au grenier du moulin à farine sera remplacé. Une excellente chose, puisque que quiconque met le pied sur cet escalier se rend rapidement à l’évidence qu’il ne tient qu’à un fil! Le plancher du rez-de-chaussée du moulin à scie, lui, sera recouvert de madriers de chêne, un matériau très résistant, capable de supporter des charges très lourdes, mais aussi de soutenir les assauts répétés des diables des meuniers (on les salue 👋).
Enfin, un monte-charge sera installé juste à côté du nouvel escalier. Il reliera le rez-de-chaussée du moulin à scie, où est entreposé le grain, au grenier du moulin à farine, où se trouvent les trémies de réserve. Ce nouveau mécanisme facilitera le travail des meuniers, qui doivent pour le moment transporter les poches de grains du moulin à scie au moulin à farine uniquement à la force de leurs bras.
Un chantier atypique
Le chantier du moulin à scie apporte son lot de défis, en raison principalement de deux facteurs : l’âge du bâtiment, ainsi que la protection légale dont il bénéficie, et son emplacement le long de la rivière du Chêne.
La restauration d’un bâtiment aussi ancien que le moulin à scie constitue un exercice délicat qui requiert une expertise particulière. Comme vous vous en doutez probablement, on ne restaure pas un bâtiment construit au 19e siècle comme on rénove un bungalow datant des années 1970! C’est d’autant plus vrai lorsque le bâtiment en question est protégé par plusieurs paliers de gouvernement, comme c’est le cas du moulin Légaré, classé immeuble patrimonial en 1976 et désigné lieu historique national en 2000. En effet, en raison de son statut d’immeuble patrimonial, toute intervention sur le moulin Légaré exige une autorisation du ministère de la Culture et des Communications du Québec.
La restauration des fondations du moulin à scie soulève une question importante en ce qui concerne la conservation des bâtiments patrimoniaux : doit-on à tout prix lorsqu’on restaure un bâtiment historique avoir recours aux mêmes matériaux que ceux utilisés lors de sa construction, même et surtout lorsque ceux-ci sont de piètre qualité, comme c’est le cas du moulin à scie? Dans le cas qui nous occupe, toutes les parties prenantes en sont arrivés à la conclusion que de restaurer les fondations du moulin à scie à l’aide de méthodes et de matériaux contemporains n’affecterait en rien la valeur patrimoniale du moulin Légaré. Au contraire, ces modifications permettront au moulin à scie de continuer à remplir sa fonction première, soit l’entreposage du grain, une étape essentielle de la production de la farine, pendant encore plusieurs décennies.
En raison de l’âge du bâtiment et de son fort potentiel archéologique, les travaux d’excavation des fondations du mur ouest du moulin à scie ont fait l’objet d’une surveillance archéologique. Celle-ci a permis de mettre au jour plusieurs vestiges archéologiques, dont des fragments de vaisselle datant de la fin du 18e siècle. Parmi les artefacts découverts, on retrouve aussi le morceau central d’une ancienne meule (!), plusieurs chaussures en cuir ainsi qu’une étrange roue en métal, possiblement un ancien mécanisme du moulin à scie.
La restauration des fondations du mur ouest du moulin à scie a nécessité la construction d’un batardeau, une sorte de barrage fait de blocs de béton et destiné à retenir l’eau de la rivière du Chêne. La construction du batardeau et l’excavation des fondations du moulin à scie ont dû se faire rapidement, les travaux devant se terminer avant l’arrivée des crues automnales et des premiers gels.
Les travaux au moulin à scie auront, comme vous pouvez vous en douter, des impacts non négligeables sur la flore et la faune de la rivière du Chêne. En effet, l’excavation des fondations du mur ouest du moulin à scie a entraîné la destruction d’une portion de la rive est de la rivière du Chêne. Pour cette raison, les travaux de restauration du moulin à scie ont aussi nécessité une autorisation du ministère de l’Environnement, de la Lutte aux changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec. Des biologistes ont également inspecté le batardeau après sa construction afin de s’assurer qu’aucun poisson n’en était resté prisonnier.
Longue vie au moulin à scie!
La plupart des modifications apportées au moulin à scie au cours des prochains mois ne seront pas visibles de l’extérieur une fois les travaux terminés. Bien que discrètes, elles permettront au moulin à scie de continuer à remplir sa fonction première, l’entreposage du grain, pendant encore de nombreuses décennies. Les travaux de restauration du moulin à scie constituent un chapitre de plus dans la longue histoire du moulin Légaré. Vivant depuis 260 ans, le moulin Légaré continue de se transformer. Longue vie au moulin!
Nous remercions Pascal Alarie, de C2V Architecture, et Mathieu Mercier Gingras, de Patrimoine Experts, pour leur précieuse collaboration lors de la rédaction de cet article.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Alarie, Pascal, Marie-Élaine Gibeault et Léopoldine Marcotte, Carnet de santé du moulin Légaré : moulin à farine, moulin à scie, maison du meunier (Montréal : C2V Architecture, 2019), 62.
Archéo-Québec, « La démarche archéologique : une démarche scientifique », 3 novembre 2022, https://www.archeoquebec.com/fr/larcheologie-au-quebec/dossiers-thematiques/la-demarche
Trudel, Martin. Un moulin au fil de l’eau : moulin Légaré, 1762-2012 (Saint-Eustache : Corporation du Moulin Légaré, 2013), 79.