Être le dernier maillon d’une chaîne commencée il y a 262 ans, ça fait de grands souliers à chausser! D’abord guide-interprète pour Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache depuis 6 ans, Kevin Lajoie a depuis peu repris le flambeau d’assistant-meunier des mains de Martin Trudel, qui de son côté assure maintenant la relève du maître meunier Daniel Saint-Pierre. Au cours des prochaines saisons estivales, vous verrez notre nouvel assistant-meunier travailler aux moulanges, à la table d’ensachage et à la boutique! Dans cet article, Kevin vous invite à découvrir son parcours au sein de Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache et ses réflexions sur le métier de meunier.
Vignette : Le maître meunier Daniel Saint-Pierre (au centre), le meunier Martin Trudel (à gauche) et l’assistant-meunier Kevin Lajoie (à droite), prêts pour le piquage des meules! (PCVSE)
Mon parcours à Patrimoine Culturel Vieux-Saint-Eustache
Bien que je sois officiellement assistant-meunier depuis octobre 2023, mon parcours au moulin Légaré a commencé en 2017, l’année où j’ai intégré l’équipe de guides-interprètes de Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache (PCVSE). À mon arrivée, le maître meunier Daniel Saint-Pierre commençait déjà à songer à sa retraite; mais à ce moment-là, j’avais d’autres projets que celui de devenir le prochain assistant-meunier du moulin Légaré. Je comptais me diriger vers l’enseignement au collégial et mon emploi de guide-interprète me donnait l’occasion de financer mes études universitaires tout en travaillant dans mon domaine.
Cependant, plusieurs évènements sont survenus au début de l’été 2022 qui m’ont éventuellement poussé à changer de choix de carrière. Tout d’abord, la retraite de Daniel commençait à se concrétiser; il nous avait annoncé qu’il entamait sa dernière année. Il était donc temps pour le moulin Légaré de se mettre sérieusement à la recherche d’un nouvel assistant-meunier. En juin 2022, le métier de meunier-artisan devenait officiellement un élément du patrimoine immatériel québécois, avec l’annonce d’une formation sur la meunerie artisanale devant avoir lieu à l’hiver 2023. Cette formation, chapeautée par le Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV), impliquait plusieurs moulin artisanaux du Québec, dont le moulin Légaré. Enfin, j’étais alors en pleine rédaction de mon mémoire de maîtrise, ce qui indiquait la fin de mon parcours scolaire et le début prochain de ma carrière professionnelle.
Durant la saison estivale 2022, une entente a donc été conclue entre PCVSE et moi : sur mes cinq jours de travail, je serais guide-interprète pour trois d’entre eux et à l’essai comme assistant-meunier pendant les deux autres. Cette période d’essai avait trois principaux objectifs. Le premier : me permettre de voir si j’aimais toutes les facettes du métier, y compris les moins glamour, comme le ménage, l’entretien des mécanismes du moulin et le contrôle de la vermine. Le second : déterminer si j’avais une bonne tolérance à la poussière de farine. Ayant travaillé pendant cinq ans comme guide-interprète sans développer d’intolérance ou d’allergie, ça regardait bien. Le troisième, très important, était de déterminer si Martin et moi avions le potentiel de bien s’entendre pendant environ les 25 prochaines années!
L’hiver arrivé, PCVSE m’a confié un contrat de recherche pour le renouvellement de l’exposition permanente de l’Espace muséal du manoir Globensky. Et oui, notre bonne vieille expo en est à ses derniers jours! Puis, de janvier à avril 2023, j’ai suivi la formation en meunerie artisanale du CQPV. D’une durée de 45 heures, le volet théorique de cette formation a regroupé une bonne vingtaine d’étudiants venant de partout au Québec et a sollicité une dizaine de formateurs de différents milieux. Une fois la portion théorique de la formation terminée, je suis devenu l’assistant-stagiaire de Martin pendant l’été 2023, jusqu’au moment d’écrire cet article de blogue. Voilà, je suis maintenant officiellement l’assistant-meunier du moulin Légaré depuis l’automne dernier!
Mon compagnonnage
Mon compagnonnage a réellement commencé en mai 2023, à la suite du volet théorique de la formation du CQPV. Le compagnonnage, c’est quoi? C’est une méthode traditionnelle de transmission des savoirs d’un métier, de maître à apprenti. Malgré une formation théorique, beaucoup de choses ne peuvent être enseignées que par le moulin lui-même, par la pratique. Le métier de meunier est tellement sensoriel! On ne peut pas apprendre dans un livre les différents bruits que peut faire le moulin, l’odeur de la farine chauffée ou celle des pierres qui se touchent, ou encore la finesse que devrait avoir la farine qui sort des meules… On ne peut pas non plus apprendre dans un livre les ajustements à faire pour corriger ces situations.
Durant les quelques mois passés avec Daniel, puis avec Martin, j’ai commencé à développer mes sens de meunier. L’ouïe pour le rythme des mécanismes, le toucher pour la finesse de la farine, l’odorat pour l’odeur de brûlé et celle des pierres. En plus de produire, ensacher et vendre de la farine, j’ai aussi appris… à nettoyer les systèmes! Ça peut sembler une tâche ingrate, mais démonter et remonter les différents mécanismes du moulin permet de comprendre leur fonctionnement.
Le métier de meunier
En quelques mois, j’ai appris beaucoup de choses sur la nature du métier de meunier. Tout d’abord, c’est un métier vraiment complet. J’ai déjà parlé de l’aspect sensoriel, mais c’est aussi un métier manuel, où l’on travaille de nos mains. C’est également un métier très social. À tout moment, quelqu’un peut entrer au moulin et une discussion peut s’ensuivre. Sur les farines et le moulin, bien sûr, mais aussi sur une foule d’autres sujets. Daniel et Martin connaissent des clients depuis si longtemps que tout peut devenir un sujet de conversation. Sur ce point, le moulin garde son ancienne vocation de lieu de rencontre.
Enfin, c’est un métier intellectuel, parce qu’il faut apprendre à connaître notre moulin. Dans notre cas, le moulin Légaré est tout autant notre outil de travail qu’un artefact historique, tout comme la farine, d’une certaine manière. La manière dont fonctionne les mécanismes du moulin est tout aussi importante que son histoire. Dans sa vocation actuelle, l’un est même indissociable de l’autre : la pratique du métier vise entre autres à garder vivant le bâtiment, témoin de la naissance du village de Saint-Eustache, et son histoire. Notre blé est moulu entre les mêmes pierres que celui des premiers censitaires de la seigneurie!
Passez donc au moulin dans les prochaines semaines… ou les prochaines années! Vous risquez de m’y croiser derrière la caisse ou aux meules. Ce me fera plaisir de vous jaser.
(Re)lisez le tout premier article publié sur Histoires eustachoises, rédigé par nul autre que le meunier Martin Trudel, pour découvrir comment le métier de meunier, une pratique bien vivante, continue d’évoluer et de se transformer!
Qui a écrit cet article?
Kevin Lajoie est titulaire d’un baccalauréat en histoire et en études classiques, et d’une mineure en études médiévales. Il travaille pour Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache depuis 2017. En 2023, il a participé à la toute première formation en meunerie artisanale au Québec, présentée par le Conseil québécois du patrimoine vivant. Il occupe officiellement le poste d’assistant-meunier au moulin Légaré depuis l’automne 2023.
